Inauguration du TEP « Eudy Simelane »
Après de gros travaux de réaménagement, le terrain d’éducation phyisique en extérieur (TEP) situé au 49, rue Olivier Métra, a été rebaptisé. Il s’appelle désormais TEP « Eudy Simelane ».
Veronica Noseda a représenté les Dégommeuses à l’inauguration et a prononcé ce discours en souvenir de cette grande joueuse lesbienne sudafricaine, victime d’un crime de haine en 2008.
« Il y a tout juste10 ans, en juin 2012, l’équipe de foot militante lesbienne & trans « Les Dégommeuses » que j’ai l’honneur de représenter aujourd’hui, a organisé une grande semaine d’action intitulée « Foot For Love ». A cette occasion, nous avons invité à Paris une équipe de foot lesbienne sud-africaine pour jouer ensemble au Parc des Princes – pour l’anecdote nous avons été parmi les toutes premières équipes féminines à fouler la pelouse de ce stade mythique – mais aussi pour porter à l’attention du public français la question des « viols correctifs » et crimes de haines frappant les lesbiennes noires en Afrique du Sud.
’équipe invitée, fondée par la.le photographe Zanele Muholi, portait le nom de Thokozane Kwabe. Thokozane était une joueuse de foot lesbienne, tout comme Eudy Simelane. Et tout comme elle, Thokozane a aussi été violée et tuée juste parce que lesbienne.Depuis le début des années 2000, en effet, ce sont presque 40 lesbiennes qui ont été violées et tuées en Afrique du Sud (la dernière, Ruth Chigowe, il y a tout juste un mois).
Parce que être lesbienne est toujours considéré comme une menace, une transgression inacceptable qu’il faut punir, une anomalie qu’il faut corriger et ramener à tout prix à l’ordre patriarcal, une infraction intolérable à la norme qu’il faut dompter, voire anéantir.
C’est la violence masculine, celle qui domine, qui détruit, celle qui demeure invisible aux yeux de bien trop de gens, celle qui est parfois promue jusqu’au plus haut niveau des institutions.
Chez les Dégommeuses, il y a plusieurs exilées lesbiennes, qui ont dû fuir leur pays à cause de leur orientation sexuelle ou identité de genre. Elles ont traversé les pays, les mers, souvent au risque de leur vie. La plupart d’entre elles ont subi des violences sexuelles, que ce soit dans le pays d’origine, au cours de leur trajet périlleux, mais aussi ici, en Europe, en France. Les viols correctifs ne sont pas seulement un phénomène lointain, mais bien une réalité que vivent des femmes qui nous entourent, nos proches, nos amies, nos coéquipières.
Mais en ce jour de commémoration en l’honneur d’Eudy Simelane, je veux aussi rappeler ce qui avait animé Foot For Love, qui continue à animer les Dégommeuses, et surtout ce qu’on souhaite puisse animer ce très beau terrain de jeu : c’est-à-dire les possibilités d’émancipation qu’offre le sport, notamment quand il est pensé en des termes inclusifs, que ce soit par rapport aux femmes et jeunes filles, aux minorités de genre mais aussi par rapport aux enjeux de race et de classe qui traversent notre société.
Le sport, le jeu collectif, nous renforce, nous permet de surmonter les adversités, nous unit dans la joie des victoires (plutôt rares, en ce qui nous concerne) mais surtout dans une solidarité concrète qui naît et se nourrit à partir d’un vécu commun : celui de la pratique sportive.
Que des centaines de jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, débutant.es ou joueur.ses confirmé.es puissent lire le nom d’Eudy Simelane, s’intéresser à son histoire, s’identifier aussi à son parcours et à son courage, nous remplit d’émotion. Elle est pour nous une héroïne, une femme qui a été capable de résister aux injonctions sexistes et lesbophobes et de s’assumer au grand jour dans un contexte hostile. En dépit de sa fin tragique, elle restera à jamais une grande joueuse, une activiste exemplaire, une femme extraordinaire.
Merci à la mairie de Paris de contribuer à perpétuer sa mémoire.
Avant de conclure, je voudrais raconter une anecdote plus personnelle. J’ai eu la chance de rencontrer les parents d’Eudy Simelane, Mally et Khotso Simelane, en octobre 2014, par l’intermédiaire de Zanele Muholi. Ils vivaient toujours dans la même « match box house » du township de KwaThema, où ils habitaient avec leur fille lorsqu’elle était au sommet de sa gloire C’est à quelques mètres seulement de cette toute petite maison qu’Eudy Simelane fut retrouvée morte face à terre, le corps à moitié dénudé et marqué de 25 blessures à l’arme blanche, le 27 avril 2008.Le jour de notre rencontre, Mally nous avait accueillies chaleureusement, et nous avait montré les archives patiemment constituées au cours du temps, réunissant des articles, des témoignages, et surtout des photos de sa seule fille. Le père, par contre, était plein de colère, et nous avait lancé : « Comment pouvons-nous oublier, si vous revenez à chaque fois raviver la douleur ? ».
La matinée s’était tout de même écoulée dans une atmosphère d’échange intense. Mally nous avait relaté toute ses activités organisées pour honorer la mémoire de sa fille et conjurer son propre chagrin : création de groupes d’entraide pour les mères de victimes de crimes de haine, participation aux funérailles hélas régulières de nouvelles victimes, prises de paroles publiques pour sensibiliser contre les violences à l’encontre des LGBTI. Ce fut donc un nouveau jour de deuil et d’évocations, de tristesse mais aussi de souvenirs arrachés à l’indifférence.
En nous raccompagnant vers la voiture, Khotso Simelane nous quittait sur ces paroles : « Je suis content de savoir qu’on se souvient de Eudy jusqu’en France, même si je vais passer toute la journée à penser à mon enfant. ». Mally est décédée en 2019. Khotso, lui, est le seul survivant.
Si la mairie de Paris nous met à disposition une copie de la plaque commémorative, nous lui enverrons pour lui rappeler que, oui, sa fille est toujours dans nos mémoires et dans nos coeurs